Paroles d’éditeurs en Hauts-de-FranceParoles d’éditeurs en Hauts-de-France

Mardi 8 octobre 2019, l’association Pictanovo et Amiens métropole proposaient le Forum "Entreprendre dans la culture" au Quai de l’innovation dans le quartier Saint-Leu d'Amiens. Un évènement gratuit, ouvert à tous, organisé autour de quatre grandes thématiques : l’édition, l’entrepreneuriat, les arts visuels, et le développement artistique dans la musique et le spectacle vivant. 200 participants et 60 intervenants étaient invités à réfléchir sur ces sujets.

L’une des quatorze tables rondes de la journée, animée par François Annycke (directeur de l’association Colères du présent à Arras et vice-président de l’AR2L) était intitulée : "Les maisons d’édition en Hauts-de-France : se différencier pour mieux exister ?". Autour de la table, quatre éditeurs de la région étaient réunis pour échanger sur leurs pratiques : Dominique Brisson (Cours toujours éditions, Épaux-Bézu, Aisne), Joël Lévêque (À contresens éditions, Vauxrezis, Aisne), Pascal Mériaux (éditions de la Gouttière, Amiens, Somme) et Benoît Verhille (éditions La Contre Allée, Lille, Nord). Au fil des questions de François Annycke, chacun a pu présenter sa démarche éditoriale et les spécificités de sa maison.

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Pour Joël Lévêque, lui-même auteur, il s’agissait avec À contresens éditions de "faire les choses autrement". Déplorant l’opacité qui caractérise souvent le monde du livre, le manque de clarté dans la relation auteur-éditeur notamment, il a eu envie de "casser les codes" et d’envisager un autre modèle. "Je pense que le libraire n’est pas un bon partenaire pour une maison qui se créé", estime-t-il. Parce qu’ils sont eux-mêmes soumis à de nombreuses difficultés, les libraires ne lui semblaient pas à même de soutenir un éditeur encore inconnu. D’où le choix, pour À contresens, d’autres canaux de diffusion comme les salons du livre ou la vente en ligne.

Le catalogue de la maison est très ouvert, de nombreux genres sont représentés en littérature, jeunesse, BD… mais "il est beaucoup plus facile de travailler avec des auteurs de la région", souligne Joël Lévêque. "Je leur explique qu’il faut écrire de beaux livres mais qu’en plus, il faut qu’on aille ensemble sur le terrain pour qu’ils soient ambassadeurs de ces livres !". L’éditeur est donc très présent sur les manifestations littéraires en région, mais il s’associe aussi à des initiatives locales, considérant que "le livre peut être un levier social", en reversant le bénéfice de certains ouvrages à des associations, par exemple. Par sa présence sur le territoire, la maison d’édition a suscité l’intérêt des médias locaux et les libraires sont devenus demandeurs des titres du catalogue.

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À Amiens, les éditions de la Gouttière dirigées par Pascal Mériaux doivent leur nom au mot "Gutter" que l’auteur américain Scott McCloud utilise dans L’Art invisible (Vertige Graphic, 2000) pour désigner un aspect essentiel de la narration en bande dessinée : l’espace inter-iconique (autrement dit, le blanc entre les cases). "Gutter" peut se traduire en français par "caniveau" mais l’équipe de la maison d’édition a préféré opter pour la Gouttière ! "Nous ne sommes pas partis du tout d’une envie d’édition", se souvient Pascal Mériaux. "Fabriquer un livre, et devenir éditeur, ce n’est pas la même chose."

Forte d’une compétence jeunesse développée au fil de ses nombreuses actions de médiation, l’association On a marché sur la bulle (organisatrice des Rendez-vous de la bande dessinée d’Amiens) peinait à trouver des albums adaptés aux enfants, non-lecteurs ou primo-lecteurs en particulier. "À un moment, il faut être immodeste et se dire : « il manque quelque chose et si ça tombe, c’est nous qui allons le mettre en place ! »". Un livre par an d’abord dès 2009, "du travail de couture" et quelques albums de bande dessinée hors jeunesse "uniquement en lien avec des thématiques de la région". Le catalogue compte aujourd’hui 70 titres. "À la Gouttière, on multiplie les canaux de diffusion. On est toujours en phase de transition et on est obligé de se réinventer en permanence" selon Pascal Mériaux.

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Fondatrice des éditions Cours Toujours, maison associative, Dominique Brisson avait envie, en tant qu’autrice, de participer à toutes les étapes de la fabrication du livre. Une envie créatrice en somme. "Le nom Cours toujours est en rapport avec le temps qui passe, aux liens entre le passé et le présent", commente la directrice. Le patrimoine a son importance dans les publications de la maison mais ce qui compte avant tout, c’est "la volonté de chercher des formes qui soient au plus près du propos." La quinzaine de titres publiés s’organise autour de trois "collections très métissées" : des récits illustrés, des miscellanées ou les romans courts de « La vie rêvée des choses ». Avec une attention très soutenue portée à l'objet-livre.

"Au départ de Cours toujours en 2012, il n’y avait pas de position ni de réflexion en termes de diffusion. Nous avons fait le choix de l’auto-diffusion qui présente des contraintes mais qui a aussi son intérêt : on fait les cartons et on connaît les libraires un par un !". Dominique Brisson insiste sur le travail avec les médiathèques qui sont "un bon relais" auprès des lecteurs. "Créer un univers autour d’un livre, proposer des expositions d’illustrations originales à la location…", l’éditrice court beaucoup et ne ménage pas sa peine pour défendre les ouvrages publiés.

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"Délaissant les grands axes, j’ai pris la contre-allée" (Alain Bashung, Aucun express, 1998). C’est à cette phrase que la maison fondée à Lille par Benoît Verhille doit son nom. Depuis 2008, la Contre Allée explore le champ des littératures contemporaines françaises et étrangères. "On a essayé de faire des livres comme on les aime déjà ! On travaille sur le sensible. Il faut bien s’entourer et, c’est ce que j’ai appris, savoir déléguer. Anticiper. Harmoniser la chaîne", indique l’éditeur. "J’adore les livres mais je suis d’abord attaché au contenu." La librairie indépendante (de quartier) a tout de suite semblé un partenaire de choix. "Il fallait gagner la confiance des libraires pour qu’ils nous accordent ce petit espace sur une table. Amener des premiers textes, ajouter une couleur à la palette, créer une sorte d’habitude. Être présent dans le décor... et toujours là onze ans plus tard."

Pour prolonger son travail sur la traduction, La Contre Allée a souhaité monter un festival en 2015 : D’un Pays l’Autre. "Une manière de matérialiser notre engagement, selon Benoît Verhille. Offrir une autre réponse à un climat politique complexe, tendu, qui diffuse un message de repli sur soi. En France, on travaille surtout la traduction de livres anglo-saxons mais il y a tout le reste du monde !" Les traducteurs viennent en résidence sur le territoire, ils sont invités à évoquer leurs travaux en milieu scolaire, en bibliothèque, en librairie…

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Il existe une soixantaine de maisons d’édition en Hauts-de-France. Structures de petite taille en général, dont l’organisation est assez loin de celle des grands groupes qui dominent le marché français. Les quatre éditeurs présents autour de la table le 8 octobre ont témoigné de trajectoires, d’ambitions, de stratégies différentes. Mais ces acteurs culturels sont tous animés par la même passion et le même engagement militant au service du livre et de la lecture. "Quand on parle d'édition, il faut en parler au pluriel et tant mieux !", résumait efficacement Benoît Verhille à la fin des échanges. Dans sa diversité, le monde de la petite édition parvient - avec peu de moyens - à développer des projets de qualité qui ont le mérite de renforcer la place du livre et des auteurs dans la société, encourageons-les !

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Tag(s) : #Coups de coeur et curiosités

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