Marie-Hélène Lafon était invitée à la Maison de la Poésie de Paris lundi 28 septembre 2020, pour évoquer son dernier roman, Histoire du fils (Ed. Buchet-Chastel) au cours d’un entretien animé par Marie-Madeleine Rigopoulos et ponctué de lectures. Son ouvrage raconte l’histoire d’une famille sur une période de cent ans (1908-2008), en une douzaine de chapitres datés qui s’enchaînent sans chronologie, répondant plutôt à une "impulsion chorégraphique".
"Les histoires de famille ont à peu près toutes vocation à devenir des sagas, explique l’écrivaine. Le problème est que ce n’est pas mon calibre !". Son roman qui compte au final 170 pages, lui a été inspiré par la vie d’une famille qui lui est proche. Mais elle a mis des années avant de pouvoir la mettre en mots : "J’ai laissé le temps passer pour que la rumination se fasse, ce qui devait tomber est tombé, la matière qui n’a pas sombré est restée pour composer le livre."
Le fils, celui qui fait le lien entre les différents personnages du roman, c’est André Léoty, né en 1924 de père inconnu. Sa mère, Gabrielle Léoty, vit à Paris. Elle a gardé le secret de l’identité du père, et confié l’enfant aux bons soins de sa sœur, Hélène, qui l’élève à Figeac dans le Lot. "Il préférerait qu’Hélène et Léon soient ses vrais parents, et les cousines ses vraies sœurs. Il préférerait mais il a toujours su la vérité. Gabrielle est sa mère et on ne connaît pas son père. Il en a un, mais personne ne le connaît. […] Il a un père inconnu, et il serait donc lui aussi un fils inconnu."
André ignore que son père s’appelle Paul Lachalme et que Gabrielle – de 16 ans plus âgée – l’a rencontré au lycée de garçons d’Aurillac où elle était infirmière. Il est l’enfant du désir assumé des corps. "Paul voulait le huis-clos ; l’heure était grave ; sous l’uniforme blanc de Mademoiselle Léoty palpitait le Graal, ça ferait l’affaire." Un désir qui s’est prolongé quelques années avant que l’ambitieux garçon, "un jeune chien un sauvage un rusé", ne s’en aille butiner ailleurs. Gabrielle est une femme libre, elle l'a choisi en connaissance de cause.
Né en 1903, Paul a grandi dans le Cantal, à Chanterelle, où sa famille possède un hôtel-restaurant. Il appartient à la génération de ceux qui n’ont pas combattu pour la France ; sa fougue est intacte. "Il voudrait avant tout s’inventer une place sous le soleil de la capitale et porter haut le nom de la lignée." Il devient avocat à Paris pendant que son fils qu’il ne connaît pas, est un enfant choyé : "ce petit André qui avait eu autour de lui cinq femmes et deux hommes éperdus, sans compter les voisines de la rue Bergandine et, plus tard, toutes les maîtresses d’école."
Histoire du fils c’est, selon Marie-Hélène Lafon "l’invention sur le fil du vertige. André va s’inventer une vie en dépit du vertige du début. S’inventer – osons le mot – une vie heureuse. Il saisit les chances qui lui sont données. Une enfance douce sous les platanes, à Figeac, c’est un suffisant viatique pour aller dans le monde, et il y va. C’est la saga de l’invention de soi."
Comme toujours, le style de Marie-Hélène Lafon est tiré au cordeau dans ce roman. Concis, précis, remarquablement rythmé. "Je suis obsessionnelle pour que l’on entende la juste musique, confirme-t-elle. C’est totalement jubilatoire. Si je me mêle de mettre un texte sur la place publique, c’est la moindre des choses !" Ce que ses personnages ne disent pas (« Pas de confidences dans mes livres, d’explications, il n’y en a pas »), ce sont les corps qui l’expriment. "L’évidence des corps" traverse toute l’œuvre de Marie-Hélène. "C’est le corps qui tient tout, qui fait le travail d’écriture". C’est lui qui désire, c’est encore lui qui parle d’une génération à l’autre, à travers les ressemblances.
Ce roman s’enracine de nouveau dans le Cantal, pays natal de l’autrice qui admet : "Ça me tient au corps comme un fil à la patte !". Le Cantal forme ici un diptyque avec le Lot voisin, "le côté des figues", et les paysages sont tout, sauf des décors, sous la plume de Marie-Hélène Lafon. "Les paysages sont les corps des pays" qui s’expriment dans le livre au fil de différentes saisons, à des moments particuliers. "Et ça c’est très peu choisi, explique-t-elle. Quand je vois s’organiser ces tableaux, c’est très organique".
La composition du récit par touches impressionnistes, les bonds dans le temps et les retours dans le passé, tiennent le lecteur en haleine et aiguisent l'émotion. À la fin, tout se tient, on a réussi à combler les vides, à assembler toutes les pièces du puzzle. Comme Antoine, le fils d’André va pouvoir enfin, lorsqu’il aura toutes les cartes en mains, reconstituer le paysage familial, et prendre sa place dans la lignée.
"Maintenant, il s’agit de prendre le présent à la gorge, sans attendre que l’irrémédiable coupe court à tous les élans."
[Lire aussi ICI l'article sur mon entretien avec Marie-Hélène Lafon en 2017]