La deuxième édition du festival Lumières d’hiver, organisé par le Réseau des médiathèques du Beauvaisis, s'est déroulée sur le thème : « Écriture et liberté » du 19 au 24 février 2024.
« Ce que l’idéologie craint et hait, c’est que l’écriture des livres dangereux soit le fruit d’une aventure libre de l’intelligence ; ce qu’elle brûle et veut nier aussi, c’est l’histoire même de l’intelligence libre, dont l’écriture est à la fois le terme et le signe. » Terre ceinte (Présence africaine) de Mohamed Mbougar Sarr
Samedi 24 février 2024, j’ai eu le plaisir d’animer un échange passionnant entre Mohamed Mbougar Sarr, romancier et parrain du festival, Jean-Yves Mollier, professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université Paris Saclay/Versailles, spécialiste de l’histoire de l’édition, du livre et de la lecture, et Alex W. Inker, auteur de bande dessinée.
Dans son essai Interdiction de publier ! dont la version augmentée paraîtra en avril 2024 chez Double ponctuation, Jean-Yves Mollier s’intéresse au phénomène universel de la censure à travers les époques, qu’elle soit religieuse, politique, morale ou économique. Et à l’autocensure qu’elle peut entraîner. Apparue à Rome en 443 av J-C, elle a des airs de « phénix toujours renaissant », y compris dans les pays occidentaux sous une forme surtout morale et économique. La censure politique, souvent imprégnée de tabous religieux, reste cependant « l'arme la plus répandue aujourd'hui dans le monde ».
Dans ses romans, Mohamed Mbougar Sarr s’empare de thèmes qui questionnent profondément la notion de liberté : le djihadisme dans Terre ceinte (Présence africaine, 2015), la migration dans Silence du chœur (Présence africaine, 2017), l’homosexualité au Sénégal, son pays d’origine, dans De purs hommes (Philippe Rey, 2018). La plus secrète mémoire des hommes (Éditions Philippe Rey), Prix Goncourt 2021, est une enquête magistrale sur la disparition d’un écrivain africain accusé de plagiat, et réduit au silence après la publication de son premier livre en France. Mohamed Mbougar Sarr y déploie avec brio les ressources de la langue qui lui permettent d’être au plus près de son sujet. Et de ses personnages dont les voix se relaient pour livrer leur vérité sur TC Elimane.
Alex W. Inker a publié six albums aux éditions Sarbacane, faisant toujours preuve d’audace et de liberté dans la manière dont il s’empare des codes de la bande dessinée. L’adaptation littéraire est aussi envisagée pour lui comme un espace de liberté : plusieurs de ses titres sont inspirés de romans, comme Servir le peuple (2019), adapté du livre sulfureux de Yan Lianke sur la Chine de Mao, qui a attiré sur lui l’attention des censeurs chinois. Son album le plus personnel, Fourmies La Rouge (2021), évoque la fusillade du 1er mai 1891 dans la petite ville de Fourmies où il a grandi. Revenant, à travers quelques personnages, sur cette journée de fête achevée en massacre, il ravive le souvenir des ouvriers martyrs qui ont lutté pour leur liberté.
[Photos table ronde © Équipe des médiathèques du Beauvaisis]