La Bible de pierre - Amiens, cathédrale prophétique

« Notre objectif est de décoder ce message de Dieu adressé aux hommes dans ces pierres sculptées (The Bible of Amiens – la Bible d’Amiens –, selon l’expression de John Ruskin). En nous appuyant sur les textes bibliques auxquels renvoient ces sculptures, nous espérons apporter un nouvel éclairage sur le mystère du salut chrétien spécifiquement exprimé dans la façade occidentale de Notre-Dame d’Amiens. »

Il aura fallu dix ans à Emmanuelle Lesbre – et la confiance de Philippe Leleux, éditeur - pour mener à bien son projet monumental, et voir paraître La Bible de pierre - Amiens, cathédrale prophétique (Ed. de la librairie du labyrinthe) dont elle signe les textes et illustrations. Picarde d’adoption, historienne de l’art, elle a suivi pendant cinq ans des études théologiques et bibliques afin « d’explorer les fondements scriptuaires de la statuaire » de Notre-Dame d’Amiens. « Pour faire un livre comme celui-ci, résume l’éditeur, il fallait l’alliance de celle qui croit et de celui qui ne croit pas ! »

La cathédrale d’Amiens, inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1981 fut édifiée pour l’essentiel de 1220 à 1269, sous l’égide de trois architectes principaux : Robert de Luzarches, Thomas de Cormont et son fils, Renaud. Son volume atteint le double de celui de Notre-Dame de Paris, achevée en 1345. C’est vraisemblablement Jean d’Abbeville, le doyen du chapitre (ensemble des religieux dédiés à la prière quotidienne au sein de la cathédrale), qui a élaboré les scènes de la façade occidentale « illustrées dans la pierre par les meilleurs sculpteurs des XIII^e et XVI^e siècles ». La continuité entre l’Ancien et le Nouveau Testament y est soulignée.

Emmanuelle Lesbre convoque les écritures et elle explique, détaille, dessine, la façade occidentale de la cathédrale avec de droite à gauche : • le portail de Marie, portail de l’Incarnation ou de la Mère-Dieu, • le portail du Sauveur, • le portail Saint Firmin (premier évangélisateur et évêque d’Amiens décapité en 303 par les Romains). Et côté sud, le portail Saint Honoré. Le plus imposant portail, sur lequel elle s’attarde longuement dans le livre, est celui du Sauveur dont Jésus – qui signifie « Dieu sauve » en hébreu – est la figure centrale. Tandis que le portail de Marie est dédié à sa conception, à sa jeunesse et à l’Assomption de la Vierge, celui-ci met en scène le messie, Jésus ressuscité, qui ouvre la voie vers la « Jérusalem céleste ».

Le Christ ou Beau-Dieu, y apparaît entouré de ses douze apôtres sous lesquels sont représentés les douze vertus et les douze vices, un « programme concret de conversion et d'action pour notre salut et pour celui du monde » : Foi vs Idolâtrie, Espérance vs désespoir, Charité vs cupidité, Chasteté vs adultère, Sagesse vs folie, Humilité vs orgueil, Courage vs faiblesse d’âme, Patience vs colère, Douceur vs violence, Concorde vs discorde, Obéissance vs rébellion, Persévérance vs lnconstance. « Le mot "vertu" nous paraît peut-être étrange. Mais il était familier pour les hommes et les femmes du Moyen-Âge, comme pour les Grecs et les Latins. Il dérive du latin "virtus", signifiant "force". »

Emmanuelle Lesbre s’intéresse de près aux prophètes qui figurent sur la façade. « Le terme « prophète », dérivé du grec, a deux sens : « porte-parole de Dieu », et « annonciateur » d’évènements à venir, notamment relatifs à Jésus, pour les Chrétiens. » Douze petits prophètes et quatre grands prophètes (Isaïe, Jérémie, Ézéchiel, Daniel) sont représentés. Ils doivent ce qualificatif « petit » ou « grand » à la taille des livres qui portent leur nom. L’autrice recherche « le sens des scènes sculptées, mais aussi les exigences de vie – le message moral - transmises par chaque prophète ».

Le dernier des prophètes, et le plus important, est Saint Jean-Baptiste, fils de Zacharie et Élisabeth, le cousin du Christ décapité par Hérode, dont le chef est rapporté de Constantinople à Amiens en 1206 à l’issue de la quatrième croisade, par Wallon de Sarton, moine de Picquigny. « Si cette cathédrale est construite aussi vaste, n’est-ce pas pour recevoir les nombreux pèlerins qui viendraient prier devant la relique de Saint Jean-Baptiste, ce grand saint et martyr, qui baptisa Jésus ; ce "prophète" et "plus qu’un prophète" » ?

Érudit mais toujours accessible, La Bible de pierre est une somme de presque 500 pages, 250 dessins, et de nombreuses photographies signées Philippe Leleux, Pierre Leleux et Guillaume Lehingue, qui donne envie de redécouvrir livre en main, les sculptures de Notre-Dame d’Amiens. Que l’on soit croyant ou non (l’incendie de la cathédrale de Paris a démontré l’attachement du monde entier à ce patrimoine commun), le colossal travail d’Emmanuelle Lesbre est précieux en termes de savoir et de transmission. Pour les Chrétiens évidemment, il revêt un sens tout particulier : « Plus de 700 hommes et femmes, en apparence muets et figés dans la pierre, chantent en chœur la gloire de Dieu, les dons du Saint Esprit et l’amour du Christ. Ils nous regardent … Ils nous parlent… Ils nous écoutent… Ils nous montrent un chemin de vie ».

Emmanuelle Lesbre sera en dédicace à la librairie Martelle d’Amiens samedi 21.12.24 de 15h à 17h30.