Festival Le goût des autres au Havre : rencontre avec Vanessa Springora

Vanessa Springora présentait son dernier roman, Patronyme (Grasset), lors d’un entretien avec Agathe Le Taillandier au Théâtre de l’Hôtel de Ville du Havre dans le cadre du Festival littéraire Le Goût des Autres, le 18 janvier 2025.

Vanessa Springora : « À aucun moment je ne me suis dit qu’il s’agissait uniquement d’une histoire individuelle, la mienne ou celle de ma famille, d’ailleurs je parle assez peu de moi dans ce livre même si je me mets en scène au fil de l’enquête. Je parle beaucoup plus de mon père et de mon grand-père, de ces deux figures paternelles, mais surtout de la façon dont la grande Histoire irrigue ces récits familiaux et à quel point on la méconnaît. […] Toutes ces histoires familiales de déchirures et d’exils sont pleines d’enseignements parce que c’est par là qu’on se raccroche justement, à ce que l’on a appris dans les manuels d’histoire, ou que l’on voit au cinéma, mais qui reste très abstrait […] Les non-dits sont d’un point de vue psychogénéalogique, on le sait aujourd’hui, dévastateurs et j’ai trouvé vraiment intéressant de découvrir qu’à l’origine de la maladie de mon père qui a toujours été mythomane de façon compulsive depuis qu’il avait 18 ans, il y avait un contexte familial de non-dits et de rupture de filiation. […] D’être confrontée à la fiction très jeune, c’est peut-être ce qui a fait de moi une romancière. Je préfère le terme de fiction à celui de mensonge parce qu’elle est toujours de l’ordre de la survie. On invente pour sauver sa peau, effacer son passé, c’est une ardoise magique. […] Ce livre est aussi un peu une sépulture pour mon père, mais aussi pour mon nom de famille qui va disparaître après moi. J’ai l’impression que le réinvestir en faisant ce travail de mémoire, de transmission et de vérité avec le livre, c’est une façon de lui redonner une autre dignité, qui renvoie aussi à l’idée que chacun - peut-être - doit d’abord réfléchir à ce dont il hérite avec son nom et ensuite, se fabriquer son propre espace à l’intérieur de ce nom, se faire son nom à soi, ce qui n’est pas évident. »