Lisa Balavoine a fait son entrée dans la collection blanche des éditions Gallimard avec Ceux qui s’aiment se laissent partir, son troisième roman paru en mai 2022. Un livre dans lequel elle convoque les souvenirs de sa relation avec sa mère, dont la mort est annoncée dès les premières lignes. La mémoire est parcellaire ; c’est par touches impressionnistes que le passé revit.

"Tu es une jeune femme divorcée au début des années quatre-vingt. À vingt-cinq ans, tu as tout plaqué sur un coup de tête, ton mari, la maison à la campagne que vous veniez d’acheter, tes premiers rêves et tu es partie, emportant une gamine de presque quatre ans dans ta nouvelle vie." C’est la gamine en question qui écrit, une quarantaine d’années plus tard, dédiant à la "mère, follement aimée", un texte qu’elle ne lira jamais.

L’histoire est fusionnelle d’abord, entre l’une et l’autre inséparables. Mais la mère est instable, toujours en quête d’ailleurs, imprévisible, entraînant l’enfant dans un tourbillon sans fin. "C’est l’inquiétude surtout dont je me souviens. Cette sensation de ne jamais être sûre de rien. La peur constante que quelque chose se passe ou, au contraire, que rien ne se produise. C’est l’inquiétude qui se niche dans tout." Les liens se distendent avec les années. La mère perd pied, s’isole, trouve refuge dans l’alcool. La naissance de son autre fille, dix ans de moins que Lisa, ne la délivre pas de ses démons.

 

Le roman s’organise en trois parties. Après le retour sur ses jeunes années, la narratrice évoque sa propre maternité. Trois enfants dont l’aînée est une fille, à laquelle elle s’efforce d’emblée, d’apporter ce qu’elle n’a pas reçu, "pour écrire une histoire nouvelle. Repartir de zéro, inventer un autre commencement, devenir la matrice." Mais nos efforts ne suffisent pas toujours à rendre nos enfants heureux. En grandissant, la fille de Lisa s’enfonce à son tour dans le chagrin. "Parce que les fils de mon enfance brodent un canevas serré avec celle de ma fille. Parce que les portes que j’ai moi-même claquées tant de fois me reviennent en pleine face. Parce qu’il me semble avoir traversé les moments qu’elle traverse. Parce que nous ne trouvons plus les mots pour nous parler. Parce que nous manquons d’air. Parce que la fille que je suis ignore comment être mère."

Les familles sont-elles condamnées à rejouer les mêmes partitions ?  Le roman pose avec justesse cette question qui hante tous les parents cabossés par des enfances ou des parcours de vie difficiles : comment enrayer la mécanique de la répétition ? Comment s’extraire du malheur puisqu’il n’est pas une fatalité ? Dans la dernière partie, Lisa Balavoine revient sur l’impossible deuil, la mort soudaine de la mère qui confisque toute possibilité de réparation entre les deux femmes. Que faire désormais des silences, de la colère, des souvenirs pénibles, de l’incompréhension ? Dans Ceux qui s’aiment se laissent partir, roman intime de 160 pages au style resserré, l’Amiénoise chemine avec la même sincérité que dans ses précédents livres, et semble - peut-être - grâce aux mots, déposer la souffrance liée à son passé.


"J’ai l’impression que tout en moi tourne autour de ça, la disparition, le manque.  Des fantômes nécessaires. C’est à ce moment que je commence à écrire. Je souhaite garder une trace de ce qui n’a jamais été là."

 

Tag(s) : #Coups de coeur et curiosités

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