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Les bibliothèques d’Amiens Métropole lancent « un nouveau rendez-vous mensuel qui s’adresse à tous ceux qui souhaitent en savoir plus sur les médias, mais aussi fournir des clés de compréhension face aux grands enjeux contemporains et nourrir le débat démocratique ».
La première édition de ces Samedis de l’info s’est déroulée samedi 22 mars 2025 à la bibliothèque Louis Aragon en présence de Gilles Moyse, auteur du livre Donnerons-nous notre langue au Chat GPT ? (Le Robert, 2023) préfacé par le philosophe des sciences Etienne Klein : « un voyage à travers l’IA – et le numérique –, pour en améliorer la compréhension au niveau personnel et mieux l’appréhender dans ses différentes composantes, technique, économique et stratégique. »
Diplômé de l’UTC de Compiègne, Gilles Moyse est titulaire d’un Doctorat en Intelligence Artificielle de Sorbonne Université. Il a enseigné l'IA à Sciences Po et à l'ESCP, et créé reciTAL, une startup dédiée au traitement du langage et des documents. Lors de sa conférence, il a invité à sortir de la fascination ou de la sidération face à « l’avalanche informationnelle » autour de l’intelligence artificielle « tour à tour magique, tour à tour tragique » et à plutôt agir et à construire d’autres solutions, européennes si possible.
Considérant qu’il faut comprendre de quoi on parle pour sortir de cette fascination, il a d’abord proposé un voyage dans le temps entre 1936 et 2022, de la naissance de l’ordinateur (Machine de Turing imaginée par le mathématicien britannique Alan Turing, architecture de von Neumann élaborée par le Hongrois John von Neumann…), jusqu’au lancement de Chat GPT par la start up OpenAI. Avant que les sociétés civiles de ne s’en emparent, les premiers ordinateurs ont – comme souvent – servi des usages militaires. Après la Seconde Guerre mondiale, les financiers, banquiers, assureurs, comprennent l’intérêt comprennent l’intérêt de ces technologies. La société IBM (International Business Machines) développe son activité dans cette direction.
On parle pour la première d’Intelligence artificielle en 1956 à la conférence de Dartmouth (Hanovre, New Hampshire, E-Unis) où « des scientifiques, mathématiciens, logiciens, électroniciens, se donnent comme plan de reproduire l’intelligence humaine en trois mois. Mais ils se rendent compte que c’est un peu plus compliqué ! » C’est le temps des premières approches descendantes : on part de la connaissance d’experts que l’on code sous forme d’instructions dans les ordinateurs (systèmes d’experts, ontologies, bases de connaissances…).
« Dans les années 80 débute le premier hiver de l’IA : les promesses faites autour de ces technologies ne sont finalement pas tenues. Car la plupart des choses qui font l’intelligence, on ne sait pas les expliquer de manière détaillée. D’autres techniques vont donc se développer pour essayer de pallier cette incapacité à décrire précisément certains processus de l’intelligence. »
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Commence ensuite le temps des approches ascendantes qui consistent à partir de la data et à entraîner un modèle statistique à la compréhension de cette data. Les machines à vecteurs de support, les arbres de décision, les réseaux de neurones, sont des modèles statistiques qui récoltent de la donnée pour essayer de l’expliquer. Ces approches qui existaient de manière marginale, sont alors réinvesties et développées massivement. A la fin des années 2000, l’hiver de l’IA se termine. La machine entraînée est capable de reconnaître des images étiquetées de manière plus performante qu’un humain.
Il va s’agir dès lors d’accumuler de la data dans le but de vendre de la publicité ciblée. En 2013, Mark Zuckerberg invite ainsi Yann Le Cun (diplômé de l’ESIEE Paris, professeur à la New York University qui travaille sur la reconnaissance faciale) à rejoindre Facebook dont 98 % du chiffre d’affaires (200 milliards de dollars par an) repose aujourd’hui sur la publicité. En 2017, Google propose le modèle Transformers, réseau de neurones qui va permettre de comprendre le langage de manière beaucoup plus efficace. On se met à faire des programmes génératifs entraînés à prédire le token suivant (unité minimale de traitement de texte : syllabe par ex.) dans une séquence donnée. Internet constitue une ressource précieuse et inépuisable pour entraîner ces modèles… qui ne se soucient pas du droit d’auteur.
Open AI, société créée en 2015, développe un modèle GPT (Generative Pre-trained Transformers) qui génère vraiment du langage. On se rend compte de sa dangerosité puisqu’il est possible de lui demander n’importe quoi. Les IA portent en outre une vision du monde. Même involontairement, celui qui créé le jeu d’entraînement a une responsabilité énorme en transmettant à la machine sa propre vision du monde. La recherche en IA va cesser d’être complètement ouverte comme elle l’était auparavant. Entre 2020 et 2022, Open AI construit une « enveloppe protectrice » qui permet d’éviter les dérapages de l’IA. Ses équipes de Red Teaming sont chargées de lancer des attaques fictives afin de vérifier comment elle réagit face aux pièges qu’on lui tend. Le système fonctionne assez bien.
Pour Gilles Moyse, « on ne peut pas être juste être dans une posture critique voire sceptique vis-à-vis de ces outils qui sont assez bluffants. Pour la première fois on a des machines avec lesquelles on peut parler. Mais il faut les entraîner sur une quantité de données effrayante, et elles sont extraordinairement énergivores. Pour information, notre petit cerveau ne consomme que vingt watts ! Question toujours ouverte : est-ce que l’intelligence ne serait pas cette espèce d’optimum entre la capacité à faire les choses et le coût énergétique ? »
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Dans la deuxième partie de sa conférence, Gilles Moyse s’intéresse aux conséquences de cette révolution technologique que l’on nous présente souvent sous la forme « IA magique / IA tragique ». L’IA n’est qu’un outil au service de quelqu’un qui a une intention et, « on est très loin de Terminator » ! Il y a cependant une inquiétude qui concerne les armes autonomes prenant seules la décision de tirer. Elles sont déjà utilisées en Ukraine.
La révolution IA est technologique, mais elle est aussi financière grâce au développement des moteurs de recommandation qui font des suggestions aux utilisateurs en fonction des données dont ils disposent à leur sujet. Une manne qui représente plus de 600 milliards de dollars par an. « Google et Facebook sont devenus des empires en vendant de la publicité, et s’ils ont réussi à prendre des marchés tenus par d’autres acteurs (Havas…), c’est parce qu’ils ont pu faire des publicités ciblées. Ils sont devenus des réservoirs à données personnelles. Les annonceurs ont trouvé cela génial et reporté leurs budgets pub sur ces régies publicitaires que sont en fait Google et Facebook. »
Gilles Moyse alerte sur notre dépendance vis-à-vis des outils que sont Google Search, Google Maps, Google Docs, Windows, IOS, Android… « Si on n’avait plus accès à ces outils, en quelques jours ce serait la plus grande crise économique que l’Europe ait jamais connu. » Et si l’on considère l’usage politique et non plus commercial que l’on peut faire des données personnelles, trois visions coexistaient dans le monde jusqu’à la fin 2024 (et le retour de Trump au pouvoir) : ● une vision américaine « très far west » avec des données qui se vendent et s’achètent ● une vision chinoise « 1984 » où toutes les données peuvent s’échanger tant qu’elles remontent au parti ● une vision européenne qui impose des règles (RGDP, AI Act) aujourd’hui sous le feu de l’administration américaine.
Pour sortir de notre dépendance numérique aux GAFAM, il faut créer des solutions européennes. Dans bon nombre de cas, elles existent déjà mais il y a un effet d’usage et un effet de réseau qui jouent en faveur du statu quo. « L’ensemble de l’écosystème Meta, c’est trois milliards de personnes. Faire déplacer trois milliards de personne est horriblement compliqué, et personne n’a envie d’être le premier à se retrouver tout seul dans ce ciel bleu (Cf. Bluesky)… ! »