Le Musée de l'Orangerie à Paris accueille jusqu'au 18 juillet 2016 l'exposition Apollinaire Le regard du poète consacrée aux activités de critique d'art du célèbre auteur, principalement à partir de 1902 et jusqu'à sa mort en 1918. Apollinaire s'inscrit dans la lignée des écrivains critiques d'art, comme avant lui Diderot, Gautier, Baudelaire, Balzac, Zola ou Mallarmé. Sa devise ? "J'émerveille" selon André Breton.
Né le 25 août 1880 à Rome, d'une mère polonaise et de père inconnu, Guglielmo Alberto Wladimiro Alessandro Apollinaire de Kostrowitzky arrive dans le sud de la France à l'âge de sept ans. Très tôt épris de lecture, il écrit et dessine dès l'adolescence. Il choisira le nom d'Apollinaire pour devenir journaliste et poète. Ses premiers textes sont publiés en 1900 dans Le Mercure de France. À partir de 1908, il décide de se consacrer entièrement à l'écriture et s'installe au pied de la Butte Montmartre en pleine effervescence artistique.
Dans sa formule adressée à Apollinaire : "Vous êtes un homme-époque", l'écrivain et peintre Alberto Savinio (frère cadet de Giorgio de Chirico) offre une image de la place essentielle qu'occupe le poète au milieu de ses contemporains. Par ses amitiés, sa curiosité, son approche visionnaire, Apollinaire est au coeur de la révolution artistique et esthétique qui se joue au début du 20e siècle. Chroniqueur artistique du journal L'Instransigeant dès 1910, il ressent, comprend, commente et diffuse les avant-gardes. Il est alors sur tous les fronts de la culture.
Logiquement, une salle entière de l'exposition (dont le Musée Picasso - Paris est partenaire) est consacrée à l'amitié fertile entre Apollinaire et Picasso. Les deux hommes se rencontrent en février 1905 à l'Austin's Fox, bar que fréquentèrent aussi Baudelaire, les frères Goncourt ou Joris-Karl Huysmans. Entre 1905 et 1918, ils échangeront 263 lettres ainsi que des poèmes et des dessins.
Même si le projet des deux artistes de créer une oeuvre en commun fut sans cesse ajourné, et définitivement aboli avec le décès prématuré du poète, leur complicité intellectuelle, fraternelle, enrichit beaucoup leurs oeuvres respectives. Pour l'un comme pour l'autre, l'art moderne n'entreprend pas de renier l'héritage du passé ; il y puise, tout en tournant le regard vers un avenir à la fois libre et réinventé.
Apollinaire fonde en 1912 Les Soirées de Paris, revue dans laquelle paraît Le Pont Mirabeau qui évoque la fin de ses amours avec Marie Laurencin dont il continue à admirer la peinture : "Sous le pont Mirabeau coule la Seine / Et nos amours / Faut-il qu'il m'en souvienne / La joie venait toujours après la peine / Vienne la nuit sonne l'heure / Les jours s'en vont je demeure".
En mars 1913, il publie son unique livre de critique d'art : Méditations esthétiques. Les peintres cubistes, assemblage de textes rédigés entre 1905 et 1913 qui confirme sa position de défenseur du mouvement, "manifestation la plus élevée de notre époque". Il y note que "Ce qui différencie le cubisme de l’ancienne peinture, c’est qu’il n’est pas un art d’imitation, mais un art de conception qui tend à s’élever jusqu’à la création."
Le dialogue entre peinture et poésie est particulièrement fécond en ce début de 20e siècle. L'art nourrit sans cesse l'oeuvre d'Apollinaire dont la critique reste poésie ("poésie critique", selon l'expression de Jean Cocteau). Zone, son poème novateur extrait de Alcools (1913) est une forme littéraire du cubisme ("À la fin tu es las de ce monde ancien / Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin"). Avec ses Calligrammes (terme forgé à partir des mots calligraphie et idéogramme), sa poésie devient graphique, le dessin et l'image figurent au centre de la création.
Le musée donne encore à voir des photographies du dernier appartement qu'Apollinaire occupa à Paris au 202 boulevard Saint-Germain. Une foule d'objets, de livres, de tableaux s'y entassent, témoignant de son goût éclectique. Dans ce logement exigu et labyrinthique où il emménage en 1913, les toiles de ses amis (Picasso, Derain, de Chirico...) côtoient des affiches, marionnettes, statuettes africaines...
La dernière salle de l'exposition évoque la relation d'Apollinaire avec le marchand d'art Paul Guillaume (1891-1934) qu'il prend sous son aile dès leur rencontre en 1811. Il lui prodigue ses conseils éclairés, lui présente ses amis : Picasso, Braque... Les deux hommes partagent le même intérêt pour les arts premiers dont on mesure bientôt l'influence sur la peinture de l'époque (Matisse, Modigliani, Picasso...). Apollinaire milite d'ailleurs pour leur reconnaissance "Le Louvre devrait recueillir certains chefs-d'oeuvre exotiques dont l'aspect n'est pas moins émouvant que celui des beaux spécimens de la statuaire occidentale." (Le Journal du Soir, 1909).
Le jeune Paul Guillaume devient d'abord collectionneur puis crée sa Société d'art et d'archéologie nègre. En 1913, il ouvre sa première galerie à Paris, et devient l'unique marchand de Giorgio de Chirico qu'Apollinaire lui a fait découvrir. Mais la guerre l'oblige à suspendre son activité.
Lorsque sa galerie rouvre en 1915, Apollinaire l'encourage dans une lettre datée du 18 avril : "Achetez des tableaux bon marché, Rousseau, Picasso, Laurencin, Bonnard, Cézanne, etc."... L'élan est donné à l'entreprise de Paul Guillaume qui prend une dimension internationale. Sa collection, acquise par l'État français en 1963, est présentée au Musée de l'Orangerie.
Le catalogue de l'exposition, Apollinaire Le regard du poète (Coédition Gallimard/Musées d'Orsay et de l'Orangerie) est un ouvrage collectif remarquable qui aide à dessiner les contours de la personnalité et de l'oeuvre originale du poète.
La manifestation s'accompagne en outre de la parution de Guillaume Apollinaire/Paul Guillaume - Correspondance (1913-1918) (Coédition Gallimard/Musée de l'Orangerie), qui rassemble "120 lettres, enrichies de documents et d’illustrations rares, également souvent inédits, accompagnées d’une introduction, de notes et de commentaires qui en éclairent le contexte et les significations. En présentant les deux correspondants sous un nouveau jour, elle raconte à sa manière la genèse de l’art moderne."
"Les poètes et les artistes déterminent de concert la figure de leur époque et docilement l'avenir se range à leur avis." Guillaume Apollinaire (Méditations esthétiques, les peintres cubistes)
Musée de l'Orangerie
Jardin des Tuileries
Place de la Concorde 75001 Paris
01 44 77 80 07 - 01 44 50 43 00
www.musee-orangerie.fr