Après Véronique Olmi en 2017 pour Bakhita (Albin Michel) et Adeline Dieudonné pour La vraie vie (L’Iconoclaste) en 2018, Bérengère Cournut a remporté le Prix du roman Fnac 2019 avec De pierre et d’os (Le Tripode). Le jury composé de 400 adhérents et 400 libraires de la Fnac a plébiscité son livre après une première sélection de trente ouvrages parmi les (quelque) 524 romans de la rentrée littéraire. L'écrivain américain Bret Easton Ellis (Moins que zéro, American psycho...), invité d’honneur du Salon Fnac Livres, lui a remis son prix vendredi 20 septembre 2019 à la Halle des Blancs Manteaux, lors de l’inauguration.
De pierre et d’os (Ed. Le Tripode) s’attache au destin d’Uqsuralik, la narratrice du roman, une femme inuite qui vit sur la banquise en Arctique. Le livre commence par sa séparation d’avec sa famille, à l’adolescence. Ce jour-là, elle est à peine sortie de l’igloo familial que la glace se brise à quelques mètres d’elle. Quelques mètres qui suffisent à la priver des siens. "Bientôt, la faille se transforme en chenal, un brouillard s’élève de l’eau sombre. Petit à petit, ma famille disparaît dans la brume." Livrée à elle-même, la jeune femme doit lutter pour survivre. Il faut parvenir à s’orienter, s’abriter du froid, chasser pour se nourrir, pour se vêtir, pour nourrir Ikasuk, la chienne de son père restée auprès d’elle.
CHANT DU PÈRE
"On se retrouvera plus tard / Un jour, au fond de l’eau / Au royaume de Sedna / Aya, aya"
Bientôt, Uqsuralik peut se joindre à un premier groupe dont elle a déjà partagé le campement dans le passé. La préoccupation première de la société traditionnelle que reconstitue Bérengère Cournut, c’est la chasse. Les Inuits se nourrissent grâce au phoque annelé, au caribou, au bœuf musqué, à l’ours... Ils se déplacent en fonction du gibier, pour reconstituer leurs réserves de nourriture. Les femmes dépècent, taillent la viande, travaillent les peaux pour en faire des vêtements ou couvrir les kayaks. Uqsuralik a hérité du talent de son père pour la chasse, elle est utile à la communauté. "Être un poids pour la banquise, c’est une chose ; être un poids pour soi-même et le groupe, c’en est une autre – qui n’est pas souhaitable."
Lorsque l’été est revenu, que la toundra est tapissée de fleurs, que "le ciel est strié de vols d’oiseaux. Des mouettes, des goélands, des martins-pêcheurs, des bruants !", Uqsuralik pêche dans les lacs et les rivières, fait provision de baies. Au fil des saisons, elle apprend à composer avec la nature, avec les éléments, à affronter la solitude ou à se faire une place au sein des clans qui l’accueillent. Les Inuits vivent dans un dialogue permanent avec les esprits : les bons qui protègent, les mauvais qu’il faut ménager, ceux des ancêtres dont il faut prolonger le souvenir. Uqsuralik a des affinités avec eux.
L’écriture de Bérengère Cournut, d’une grande fluidité, est parsemée de mots en langue inuite - inukshuk, ulu, umiak, tupilak, amauti, mattak, angakok… - qui rapprochent le lecteur de l’univers décrit et stimulent son imaginaire. Plusieurs chants (celui du Géant, celui des Petites Personnes, celui du Chamane, par exemple) ponctuent le récit et renforcent la poésie qui affleure tout au long du texte. De pierre et d’os est le sixième roman de Bérengère Cournut qui auparavant a écrit des contes, de la poésie justement, des livres pour la jeunesse. C’est la découverte, en 2011, de minuscules sculptures inuites qui a donné à l’autrice l’envie de s’intéresser à ce peuple.
Pour écrire son livre paru en 2017, Née contente à Oraibi (Le Tripode), une fiction-immersion sur les Hopis, peuple amérindien, la romancière s’était rendue en Arizona. Cette fois, elle a délibérément choisi de ne pas aller au Groenland ni dans l’Arctique canadien mais de se nourrir plutôt de lectures, d’écrits scientifiques ou de rencontres, pour recomposer en littérature le mode de vie des anciens Inuits. De septembre 2017 à juin 2018, Bérengère a été accueillie en résidence au Muséum national d’Histoire naturelle de Paris. Elle a pu notamment avoir accès au fonds polaire Jean Malaurie et au fonds d’archives Paul-Émile Victor. Les anthropologues Joëlle Robert-Lamblin et Bernadette Robbe l’ont accompagnée dans son travail. À la fin du roman, un cahier de photographies issues pour beaucoup de collections américaines, donne à voir les Inuits dans leur environnement.
Dans De pierre et d’os, la vie que nous conte Uqsuralik a des airs de parcours initiatique. Comment on survit, comment on se défend, comment on devient femme, mère, épouse ou chamane... Aussi étrange et étranger que puisse paraître son monde à nos yeux de lecteurs français du 21e siècle, elle n’en demeure pas moins une héroïne moderne et universelle. C'est la magie de la littérature.