Le vélo de l’ange est le titre du nouveau recueil de François Thibaux qui paraît le 14 février 2025 chez Cours toujours, éditeur de l’Aisne où l’auteur vit justement, près de Soissons. Un livre que l’on attendait depuis Les rois barbares (éd. de la Librairie du labyrinthe, 2017) et Je patienterai, une nouvelle éditée aux Voix de garage en 2023,  qui figure à la fin du recueil.

Les douze histoires qui composent cet ouvrage, nous font voyager dans l’espace, de Paris à Norfolk en Angleterre, ou du Tarn à Catane en Sicile, en passant naturellement, par la Picardie : « Tu as tout le temps de marcher dans ta forêt, d'admirer les buses, les canards sauvages, les hérons et les cygnes qui s'envolent au-dessus des marais, les bleuets au milieu des ruines, la mousse sur les pierres, les sentiers sous la pluie, les grands hêtres que tu aimes tant. » L’auteur sait y faire pour, en quelques phrases, transporter son lecteur dans un nouveau décor et lui faire goûter l’atmosphère des lieux.

Mais ce qui compte chez François Thibaux, est bien moins l’espace… que le temps. Dans ses nouvelles qui peuvent flirter avec le fantastique, les époques se répondent, parfois même s’enchevêtrent. La narratrice de Déesse, Christelle Bertranoux que les enfants moqueurs surnomment « Camisole » - « Ils rient quand je clame que j'ai vécu jadis, en des temps si reculés que nul ne s'en souvient, bravant les fauves et les tueurs de femmes » - est-elle vraiment si folle ? Et que dire de ces voix de 1642 qu’entend encore en 2010, le vieux promeneur dans la montagne : « Nous sommes les hommes sauvages qui terrorisent les prêtres de la vallée, les invaincus, les enfants du dieu qui veille sur nous depuis les temps anciens » ?

Le passé n’est jamais tout à fait aboli dans les textes de François Thibaux, et qu’importe si la mort s’en mêle ! Le fil n’est pas rompu entre les morts et les vivants. Servis par une langue puissante et ciselée, ses personnages qui appartiennent au même continuum, peuvent encore dialoguer, et même s’aimer. « 1er mai 2019. Depuis la mort de ma femme, ici, dans ce village de Picardie cerné par de grands hêtres où, après tant de conflits et de malentendus, nous avons vécu nos vingt plus belles années, se produisent des événements singuliers. »

L’œuvre de François Thibaux est peuplée de fantômes dont les mots révèlent la présence. Issus de son imagination ; ou bien de sa mémoire. Le recueil est dédié à son épouse décédée en 2019, « Anne-Marie, toujours présente ». Et dans la nouvelle poignante, Ne pleure pas, c’est la silhouette de son père qui se dessine, le colonel Pol Thibaux (1914-1963), médecin Compagnon de la Libération : « Ils sont morts, à présent. Ton père, le capitaine chirurgien de trente ans venu des Ardennes et qui, pendant cinq ans, avait fait la guerre contre les Allemands dans le monde entier, si pâle, si beau avec ses cheveux noirs coiffés en arrière, ta mère si blonde, si jeune à l'époque et qui avait été son infirmière dans les déserts d'Afrique […] Ils sont au cimetière, tous. Sauf toi, mon petit. Et moi. »

Ce qu’il y a de merveilleux, sans doute, avec l’univers littéraire de François Thibaux, c’est qu’il ouvre le champ des possibles. Là où le désespoir pourrait faire son nid, la vie rebondit. Moïse, le sonneur de cloches ouvrant sa maison à Florentin, sale et assoiffé, « comme un père accueillant son fils prodigue ». Timothy, soixante-quinze ans, nourrissant une « dernière passion, platonique et gaie » pour Alix De Clercq, une jeune libraire de vingt-cinq ans qui lui redonne le goût d’écrire. Ou Alma Leprêtre-Fitzgerald-Belloni, sur le point de se marier, rencontrant enfin celui qui « toujours attentionné, plein de tact, tel un parrain sans visage » ne l’a jamais abandonnée… Quelle émotion de s’immerger dans des récits où jusqu’au bout - voire au-delà - la vie ne cesse de palpiter !

© Cours toujours

« L'amitié est intemporelle, éternelle. Les âmes qui se trouvent après s'être longtemps cherchées se jouent des distances et des siècles. »

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