Comme il a remis en lumière le poète Maurice Blanchard, né à Montdidier dans la Somme en 1890, l'écrivain Vincent Guillier se penche dans son dernier livre, Jean Colin d'Amiens ou le jeune homme et la mort (Encrage Ed.), sur l'oeuvre d'un jeune peintre amiénois méconnu.
C'est en 2003, au cours de ses études universitaires à Amiens, que Vincent Guillier lit le Journal de Jean Colin d'Amiens (Le Seuil, 1968) et découvre l'artiste décédé en 1959 de la maladie de Charcot, à l'âge de trente-deux ans. Touché par ses écrits, par ses dessins, il entreprend de repérer ses toiles ; quelque 200 tableaux (natures mortes, vues de sa chambre...) dispersés dans des collections privées. Il fait aussi la connaissance de François Colin, le frère plus jeune qui réside toujours à Amiens dans la maison familiale de la rue Debray.
L'ambition de Vincent Guillier ? "Faire connaître, faire aimer." Il rédige ainsi un livre délicat où affleure sa sympathie pour le peintre. "Ça aurait pu être un sujet de roman, mais je souhaitais laisser toute la place à Jean Colin, et n'apparaître dans l'ouvrage que comme une caution de sensibilité en quelque sorte, une personne touchée par lui."
Né en 1927 à Amiens, Jean Colin est le deuxième d'une famille de cinq enfants. Son père est médecin. La famille est aisée, il fréquente des écoles catholiques et grandit "dans une pratique intelligente de la foi." Après deux années de médecine entreprises pour faire plaisir à son père, il décide de se consacrer entièrement à la peinture.
Artiste autodidacte, Jean Colin est "proche de la peinture figurative de la génération précédente". Observateur, peintre du familier, il "veut rendre visible l'inaperçu, mais doute de ses capacités à réaliser ce grand projet, quand bien même toutes ses toiles nous semblent être d'une unité troublante et pourraient reconstituer minutieusement l'environnement du peintre."
En 1948, il rencontre le peintre polonais Joseph Czapski (1896-1993), qui l'encourage et le fera connaître après sa mort. Il l'incite aussi à écrire dès le début des années 50. Selon Vincent Guillier, "le journal de Colin rassemble des écrits d'atelier et des réflexions reflétant le spectacle minimal de l'extérieur qui ne manquent pas de poésie." L'écriture est, pour l'artiste, une manière de s'exprimer sans interlocuteur, de partager ses observations et de faire entendre sa voix lorsque la maladie l'empêche de tenir un pinceau. Le jour où il ne pourra plus écrire, quelques semaines avant sa mort, il dictera encore quelques pages.
À Paris, la vie de bohème et sa modeste chambre en sous-pente louée à des jésuites ne conviennent pas longtemps au jeune peintre. "La solitude lui pesait. Jean Colin ne pouvait assumer l'incertitude des grandes villes." De retour à Amiens, il poursuit son travail et expose d'abord à Londres en février 1954 puis à Paris en octobre 1954, où il reçoit un bon accueil. Julien Green, qui lui achète un tableau, écrira à son sujet : "Toute cette lumière qui est en lui, il n'a pas l'air d'en soupçonner l'extraordinaire présence, il n'est persuadé que de ses fautes qui lui cachent une âme de cristal."
Le diagnostic de la maladie tombe en 1956. Après un espoir de courte durée, Jean devra se rendre à l'évidence. La paralysie le gagne peu à peu. "Dessiner, écrit-il, c'est savoir faire le mystérieux travail du givre. Le givre a besoin de la nuit obscure et glaciale pour se former. Il illumine le matin d'une telle splendeur qu'elle ne dure, comme les choses très belles, que très peu de temps."
Ainsi que Vincent Guillier l'indique dans son ouvrage, le destin de Jean Colin n'est pas sans rappeler celui du poète Joë Bousquet (Cf. article), paralysé par une balle reçue sur le front en 1918 et qui devint pourtant un artiste accompli et reconnu, esprit brillant jusqu'à sa mort en 1950.
Dans sa chronique La vie des lettres publiée dans Le Figaro du 19 février 1968, le journaliste Claude Mauriac (fils aîné de François), évoque Jean Colin dans un parallèle entre les deux hommes : "Comme Joë Bousquet, il conquiert la sagesse, qui « ne signifie pas l'oubli ni la résignation - horreur ! - mais la conscience lucide des limites, et l'étreinte de tout un possible encore immense ; de quoi remplir une vie. Il faut seulement en vouloir. » Comme lui, il va plus loin encore, jusqu'à une certaine forme de contemplation."
À la différence de Joë Bousquet, Jean Colin est animé par la foi chrétienne qui l'accompagne jusqu'à la fin de ses jours. Mais les deux hommes ont beaucoup en commun. Contraints d'écrire couchés, terrassés par la souffrance, ils ne renoncent ni à donner un sens sublime à leur existence, ni à s'engager - contre la guerre d'Algérie, pour Jean - ni à accueillir l'amour. Six mois avant sa mort, le peintre épouse ainsi Élisabeth Plater-Syberg, la nièce de Joseph Czapski.
Ce qui étonne, voire fascine, chez l'un et l'autre de ces artistes, c'est la liberté de l'esprit qui jaillit dans un corps empêché. "J'aime mieux une vie brève et intense qu'une existence longue où il ne se passe rien, s'exclame Vincent Guillier. Jean Colin, c'est La Peau de Chagrin !" Son livre, "écrit à la manière d'un documentaire que l'on pourrait filmer", rend hommage à cette flamme avec finesse. Il envisage à présent de diffuser quelques poèmes* et textes en prose inédits de Jean Colin aux éditions des Voix de Garages auxquelles il collabore. Il est vrai que la personnalité et l’œuvre de l'artiste, méritent qu'on s'y attarde.
"Sa peinture se perçoit immédiatement dans une sobre expression, dégagée de toute mode, plus proche du détail et des études d'après nature. Non point en position de rupture, il cherche à assumer un héritage, l'enseignement des maîtres comme Corot, Cézanne, Seurat, Brueghel et Bosch qu'il admire sans condition."
* Poèmes retrouvés Jean Colin d'Amiens (Ed. des Voix de Garages, avril 2016)