Dans son premier roman, La mâchoire (Ed. de la Librairie du Labyrinthe) paru en juin 2023, Fabien Dorémus nous emmène à Abbeville, sa ville natale de la Somme, en avril 1863. Géologue et marchand de vin, le britannique Joseph Prestwich (1812-1896) vient d’arriver en gare. Il a fait le voyage suite au message pressant de son ami Jacques Boucher de Perthes (1788-1868), ancien directeur des douanes, homme de lettres et préhistorien, qui pense détenir la preuve de l’existence de « l’homme antédiluvien ».
Comme il l’explique au journaliste Gaston Poincaré qu’il rencontre par hasard, l’Anglais soutient les recherches du vieil homme : « Il y a quatre ans, j’ai observé et vérifié la véracité des trouvailles de Monsieur Boucher de Perthes. J’en ai rendu compte à mon retour à Londres. Depuis, pour la Royal Society il ne fait aucun doute que cet homme fossile, contemporain des mammouths et des rhinocéros, a bel et bien existé. Malheureusement chez vous en France les savants n’acceptent pas cette vérité. »
« Précurseur incompris », Boucher de Perthes peine à convaincre mais sa récente trouvaille, une mâchoire humaine dans la carrière du moulin Quignon, pourrait bien tout changer ! Dans sa maison aux airs de musée, il a hâte de la montrer à son ami Prestwich mais stupeur : la mâchoire a disparu. Les deux hommes ont soixante-douze heures pour mener l’enquête et la récupérer. Boucher de Perthes, excité par sa découverte, a invité Élie de Beaumont, Secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences qui lui est hostile. Sans la preuve qu’il pensait détenir, il se couvrira de honte auprès de la communauté scientifique française.
Le 20 juin 2023, lors de son entretien avec Julie Dumortier à la librairie Martelle (où il est aussi libraire depuis 2014), le romancier explique la genèse de son livre. Il n’avait pas l’intention d’écrire un roman mais un scénario de bande dessinée pour son ami auteur, Ludovic Rio. Les deux hommes ont été journalistes, cofondateurs du Télescope d'Amiens, site d'informations locales indépendant, de 2012 à 2014. Après des mois de recherches documentaires (cf. postface du livre) et de travail « en pointillés », le dessinateur n’était plus disponible et La mâchoire est devenu un roman. « Je me suis inspiré de la vraie histoire plus que de la littérature, je voulais que l’on comprenne les enjeux de l’époque et comment on pensait les choses. […] Ce qui est intéressant dans le roman historique, c’est le côté roman. À travers la fiction, on créé de l’émotion, on s’amuse, l’idée était de faire passer une espèce de vulgarisation scientifique, il y a cela en toile de fond. »
Dans La mâchoire, Fabien Dorémus parvient à construire une intrigue palpitante. Maîtrisant les codes du roman historique, il en tire habilement les ficelles, entre réalité et fiction romanesque. Les aventures de ses héros sont replacées dans le contexte du XIXe et le lecteur – qu’il ait ou non des connaissances archéologiques - peut se laisser happer par la recherche de la mâchoire, et saisir les enjeux liés à sa découverte. La géologie remet en cause la chronologie biblique, « les silex trouvés par Monsieur Boucher de Perthes malmènent les vérités révélées », ce qui n’est pas anodin en 1863. Faut-il y voir « une piste dans l’affaire de la mâchoire volée » ? Fabien Dorémus a écrit son livre avec une obsession de journaliste : ne pas perdre le lecteur et toujours relancer l’action pour ne pas ennuyer. La mission est clairement accomplie.
« Après vingt-cinq années de luttes, de raisonnements et de démonstrations auxquels j’ai eu l’heur d’apporter mon appui, l’homme fossile est désormais reconnu officiellement par l’Académie des sciences ! La révolution opérée grâce à vous par la science archéologique française est formidable. »