Est-ce que votre mère, votre fille, votre sœur, votre amie, votre collègue est concernée ? Si l’on en croit les effarantes proportions, forcément, oui… Alors il est temps de donner corps, visage et âme à ces statistiques pour qu’elles trouvent enfin une résonance dans les esprits et dans les cœurs. On ne s’identifie pas aux chiffres mais aux histoires. » 125 et des milliers (Harper Collins), ouvrage collectif pensé et conçu par Sarah Barukh

Paru le 8 mars 2023 chez Harper Collins, 125 et des milliers est un « travail collectif de mémoire » : le portrait ou l’évocation par 125 femmes vivantes, de 125 autres femmes victimes de féminicides. Un tombeau, au sens littéraire du mot. Familles et témoins - une quinzaine de professionnels - apportent aussi leur éclairage dans le livre.

À l’initiative de ce recueil, l’écrivaine Sarah Barukh qui a elle-même enduré onze années de violences conjugales, a parcouru la France et les territoires d’outre-mer pour rencontrer les proches de ces femmes décédées.  Les entretiens enregistrés ont été transmis aux autrices des textes, devenues un temps les voix de celles que la violence a réduites au silence.

Delphine Horvilleur pour A., Andréa Bescond pour Ahlam Sehili, Isabelle Carré pour Anna Galajyan, Agnès Martin-Lugand pour Chloé Solari et Lynaïs, Valentine Goby pour Christelle Le Fell, Muriel Barbery pour Éléonore Places, Leïla Slimani pour Ghylaine Bouchait, Mélissa Da Costa pour Gülçin Kaplan, Titiou Lecoq pour Mélissa Barthez, Marie Desplechin pour Stéphanie Dhion, Alix Girod de l’Ain pour Jennifer, Amélia et Eliam tués à Amiens en 2022, etc. Quel que soit le parti pris narratif, chaque texte, ourlé du souvenir de la disparue, de ses espoirs, de ses rêves brisés, est doté d’une forte puissance émotionnelle. En première ligne les enfants, nés ou à naître, ne sont pas oubliés.

125 et des milliers, en mémoire des victimes de féminicides

Ce qui revient de manière frappante, ce sont les « défaillances » (parfois même le mépris) qui ont rendu possible leur meurtre ou leur assassinat. Bien souvent, ces femmes ont alerté sur le risque qu’elles encouraient, elles ont demandé de l’aide mais la société, dans son ensemble, a échoué à les protéger. Isabelle Thomas, assassinée en pleine rue par son ex-compagnon à Grande-Synthe le 5 août 2014, juste après ses deux parents abattus sous ses yeux, avait entrepris toutes les « démarches consciencieuses » qui auraient dû mettre un terme à la « chronique d’une mort annoncée » qu’était devenu son quotidien. En vain. Le jour du triple homicide, certains badauds ont filmé la scène…

« - Mais s’il m’arrive quelque chose ? » a demandé Ahlam Sehili, 32 ans et maman d’un bébé de deux mois, au policier qui, la veille de sa mort, a refusé d’enregistrer sa plainte. « Vous direz que c’est la faute de la police » ... Indifférence, déni, bêtise, impuissance, les féminicides sont toujours le résultat d’une faillite collective. À voir, à entendre, à porter assistance. Dans la moitié des cas, ils surviennent au moment de la séparation, parce que les hommes « se sentent dépossédés de leur bien. » Quel gâchis insupportable, quand on pense au courage qu’il a fallu à ces femmes pour quitter leur bourreau !

Au-delà de l’hommage, 125 et des milliers est un livre nécessaire qui décortique les mécanismes de l’emprise et du harcèlement, pointe les carences, prodigue des conseils aux victimes (en majorité des femmes fortes, contrairement aux idées reçues) et à leur entourage. Créée à la suite de sa parution, l’association 125 et après s’est constituée comme « générateur de ressources pour sensibiliser, accompagner et soutenir les victimes de violence domestique. » En 2020, 47 000 femmes et filles ont été tuées à travers le monde par leur partenaire ou un membre de leur famille. En France, une femme est tuée par son conjoint tous les deux jours et demi, en moyenne. L’ONU a qualifié les violences faites aux femmes de « pandémie de l’ombre », le livre a le mérite de les éclairer : il faut toujours dire le mal pour en venir à bout.

« J’ai voulu raconter leur vie et non leur mort pour leur envoyer de la lumière, qu’au moins, elles reposent en paix. » Sarah Barukh

 
 
Les bénéfices de la vente de 125 et des milliers sont reversés à l’Union Nationale des Familles de Féminicide, association fondée par Sandrine Bouchait dont la sœur Guylaine, a été brûlée vive par son ex-compagnon le 22 septembre 2017 devant sa fille de sept ans.
Tag(s) : #Coups de coeur et curiosités

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