"Vous êtes marin vous aussi ? Vous savez ce que je veux dire par marin. Je ne parle pas de profession ni de carrière. Mais cette autre chose. Je crois que vous l’êtes. Marin. Rejeté par la terre." Ultramarins (Quidam éditeur, mai 2021) de Mariette Navarro.
Le cargo porte-conteneurs navigue sur l’Atlantique en direction de Pointe-à-Pitre. Vingt membres d’équipage sont à bord du bateau qu’elle commande depuis trois ans. Elle est fille de commandant, "elle appartient à l'eau comme d'autres ont la fierté d'origines lointaines." Sa rigueur inspire confiance aux marins. "Le cargo, quand elle ferme les yeux, c’est son corps à elle, stable et droit. À en oublier les vagues."
Lorsqu’au cours d’un dîner complice, les hommes envisagent de couper les moteurs, de descendre les canots et de s’offrir « une petite baignade », elle accepte, contre toute attente. "Dans le geste connu, le geste de travail, dans le geste refait chaque jour, un espace s’est glissé." Les hommes vont se baigner, "ils forment une équipe dans l’exaltation" ; elle est seule à bord pour la première fois. Une brèche va s’ouvrir à partir de là. Comme un grain de sable qui vient perturber une mécanique bien huilée : les certitudes semblent ébranlées, le navire lui-même donne des signes étranges. Qu’est-ce qui a donc changé ?
Ultramarins est un roman original, né d’une résidence d’auteurs à bord du cargo Fort Saint-Pierre de la compagnie de transport CMA-CGM en 2012. Mariette Navarro compose ici un texte à l’atmosphère mystérieuse, aux frontières de la littérature fantastique. Dans un style précis et maîtrisé, elle décrit avec virtuosité les sensations qui traversent les corps, les doutes, les fêlures, la méfiance qui gagne. Elle met aussi en lumière la drôle de vie de ces équipages lancés sur les mers à longueur d’année. Ces hommes et femmes de l’entre deux mondes qui finissent par faire corps avec leur bateau. "Il y a les vivants, les morts, et les marins." Comment être insensible à cette traversée ?