Britannicus de Racine par la Compagnie du Berger

"C’est à vous à choisir, vous êtes encor maître. / Vertueux jusqu’ici, vous pouvez toujours l’être : / Le chemin est tracé, rien ne vous retient plus ; / Vous n’avez qu’à marcher de vertus en vertus. / Mais si de vos flatteurs vous suivez la maxime, / Il vous faudra, Seigneur, courir de crime en crime" Burrhus à Néron (Acte IV, scène 3)

Il faut un peu d’audace pour monter Britannicus de Jean Racine, mais la Compagnie du Berger, emmenée par Olivier Mellor, n’en a jamais manqué. Pour son 35^e spectacle, elle met son esprit de troupe au service d’un texte magistral, soucieuse surtout, de montrer aux jeunes que le théâtre classique n’est pas une punition. Au terme de 2h30 de spectacle (avec entracte) mercredi 6 avril 2022, au Centre culturel Jacques Tati à Amiens, le défi est relevé.

Tragédie en 5 actes et en vers - 1770 alexandrins - jouée pour la première fois le 13 décembre 1669 à l’Hôtel de Bourgogne, Britannicus nous emmène à Rome en 56 après J-C. sous le règne de Néron, jeune empereur que sa mère Agrippine a placé sur le trône, dont Britannicus aurait dû hériter. Racine l’indique dans sa préface : "c’est ici un monstre naissant. Il n’a pas encore mis le feu à Rome. Il n’a pas tué sa mère, sa femme, ses gouverneurs. À cela près, il me semble qu’il lui échappe assez de cruautés pour empêcher que personne ne le méconnaisse."

La pièce décrit donc un moment de bascule. Néron vient d’enlever Junie dont il est amoureux. Mais Britannicus aime Junie qui aime Britannicus… à qui Néron a déjà beaucoup pris. Agrippine sent que son fils, et le pouvoir qu’elle exerce à travers lui, vont lui échapper. Pour le jeune homme qui veut s’affranchir de son emprise, quel chemin emprunter ?

La mise en scène d’Olivier Mellor s’organise autour d’un dispositif tri-frontal : un tiers du public est installé classiquement devant la scène, les deux autres tiers se font face, de part et d’autre du plateau. L’entracte offre la possibilité intéressante de changer de place et de point de vue. Entre classique et presque rock, la musique live, sous la houlette de Séverin "Toskano" Jeanniard (aux côtés de la compagnie depuis 2007) apporte une belle plus-value au spectacle. La vidéo aussi, qui diffuse des images (animaux, nature…) souvent déconnectées de l’histoire, quoique…  

"La pièce repose essentiellement sur les acteurs. Le reste c’est du papier cadeau", commente Olivier Mellor lors du bord de scène proposé à l’issue de la représentation. Les comédiens sont à la hauteur de leurs (magnifiques) rôles et "tiennent" l’alexandrin dont la puissance reste intemporelle. La dramaturgie du spectacle a été confiée à Julia de Gasquet, Normalienne, agrégée de lettres modernes et docteur en littérature française (Université Paris IV-Sorbonne), spécialiste de Racine.  Paris. [Photos spectacle © Ludo Leleu]

Mention spéciale pour Marie Laure Boggio (Agrippine) et Hugues Delamarlière (Néron) qui ne se rencontrent qu’à l’acte IV mais dont la relation, tragique, est au cœur de tout ce qui se joue. Ils portent sur leurs épaules un empire, et se débattent avec des liens mère-fils dont la toxicité les ronge : "Ta main a commencé par le sang de ton frère ; / Je prévois que tes coups viendront jusqu’à ta mère". Avec Britannicus, nous sommes à Rome en 56, mais nous sommes aussi de nos jours, quand des familles se déchirent, quand l’amour est soumis à des enjeux qui le dépassent, quand la raison d’État impose à la jeunesse de se sacrifier.

Dernière représentation au Centre culturel Jacques Tati à Amiens vendredi 8 avril 2022. Du 5 au 29 mai 2022, la pièce sera jouée au Théâtre de L’épée de bois (Cartoucherie) à Paris.